L’affaire Adelshoffen

Une fermeture au jour le jour

13 avril 2000 La direction de la Sogebra, (holding française du groupe hollandais Heineken) annonce son intention de fermer l’usine Adelshoffen de Schiltigheim. 5 juillet 2000 Après l’annonce du mois d’avril , la centaine d’employés que compte l’entreprise s’interroge sur son avenir et attend un plan social qui tarde à venir. Les élus locaux ont été alerté et plusieurs manifestations se sont déjà déroulées dans les rues de la ville. Un cortège d’une soixantaine d’ouvriers s’est rendu devant le siège local de Heineken. Sitôt arrivés sur les lieux, les manifestants ont bombardé la façade d’oeufs de différentes fraîcheurs. Un cerceuil a également été déposé puis incendié. Cette action toute symbolique fait suite à une lettre ouverte adressée hier au préfet, au Premier Ministre, au ministère de l’Economie et des Finances ainsi qu’à Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité Dans ce courrier, les ouvriers d’Adel refusent la fermeture de leur usine. Ils y dénoncent évidemment la suppression de leurs emplois, mais également ceux qui sont induits. Ils y déplorent aussi la mise à la casse de l’outil de production. Ce dernier est totalement neuf: lors du rachat de cette usine en 1996, Heineken y avait investit 64 millions de francs. Selon eux, cette fermeture « n’a pas d’autre objectif que d’améliorer la rentabilité financière du groupe pour transférer aux propriétaires aux Pays-Bas des sommes importantes résultant des « plus-values » extraites de l’exploitation des salariés Heineken – Adelshoffen – Fischer en France ».

19 juillet 2000 Mécontents de l’absence d’André Pecqueur et du directeur d’usine à une réunion du comité d’entreprise prévue le matin, les ouvriers ont séquestré le chef du personnel durant quelques heures. Les grévistes accusent leur direction de « délit d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise ».

20 juillet Le ton est encore monté d’un cran : les grévistes menacent à présent de faire sauter l’usine si la direction n’entame pas de négociations. Après l’échec de la réunion de la veille, la brasserie est sous l’entier contrôle des grévistes. Le directeur, les cadres et une partie de la maîtrise de l’usine ont abandonnés leurs postes. Seul une poignée d’ouvriers assure la surveillance des locaux. Les ateliers sont désespérément vides. Au fond d’une cour, soigneusement abrités derrière un empilement de palettes de bouteilles, les réserves de gaz. Comble de l’humour noir, les citernes sont justes sous les  » apollos « , ces citernes verticales servant au stockage de la bière. Quel scoop si un  » décollage  » se produisait! Plus sérieusement, la menace a portée ses fruits : les médias ont rappliqué dare-dare et au grand complet et les politiques se sont aussitôt ressaisis de l’affaire.

24 juillet Pour la seconde fois en moins de 8 jours, les salariés en grève ont à nouveau déversé plusieurs milliers d’hectolitres de bière sur la chaussée. Durant près d’une heure ce jet de mousse ininterrompu leur a permit de sensibiliser les passants à leur action. Hormis le sérieux embouteilllage provoqué par cette démonstration, il s’agissait une fois de plus de prouver la mobilisation du personnel face à leur patron Heineken. Un moyen comme un autre de maintenir la pression à la veille de la réunion prévue demain après-midi à la DTE avec André Pecqueur, le Pdg d’Adelshoffen.

27 juillet A 18H15 André Pecqueur, Pdg de la brasserie Adelshoffen et Thierry Durr secrétaire du comité d’entreprise, signaient le plan social prévu par la loi en cas de cessation d’activité d’une entreprise. Adelshoffen a vécu. Des opérations de nettoyages et de rangements seront encore menées jusque fin août puis ce sera terminé. La Citadelle est tombée. 3 jours, c’est le temps qu’il aura fallut pour sceller définitivement le sort de 96 salariés. 3 journées d’attentes, d’espoirs et de doutes après 8 jours de conflit dur et 5 mois d’expectatives. C’était bien la peine de gesticuler autant devant les caméras, de faire tant de manières et de mystères pour un plan social connu de tous depuis le mois d’avril, alors que les modalités étaient implicitement acceptées bien avant ce 27 juillet. La seule négociation qu’il y aura eu dans cette affaire concernait le maintien du site. En définitive, les débats n’auront portés que sur l’augmentation de la prime de départ pour ceux qui ne pouvaient être reclassés. Elle est passée de 150 000 à 330 000 F en l’espace d’une demi-journée. Peu de choses pour le groupe Heineken qui se targue ce soir là d’avoir sauvé tous les emplois grâce à son plan social.

20 septembre Hopla ! La brasserie est officiellement fermée depuis le 1er septembre 2000. Le conflit est arrêté. Les compromis sont signés. Et les lettres de licenciements arrivent chez les salariés. En face, le public s’est remis des otages de Jolo et s’apprête à référender sur le septennat. Rien que du prévu et du normal. Normal ? Ouais, pas tant que ça. Du moins pour les 70 ouvriers d’Adel qui attendent toujours de savoir chez qui ils pourront bien travailler une fois leur bas de laine vidé. Car en ce 20 septembre, ceux que l’on croyait depuis longtemps casés ailleurs sont toujours là. Dans l’usine à tourner en rond comme un hamster dans sa cage. Devant ce constat et pour faire entendre à la population que les promesses de reclassements ne sont pas tenues, les représentants du CE ont à nouveau repris du service devant la presse. Nous avons donc appris ce jour que sur 101 salariés, 9 ont été reclassé en interne (chez Fischer), 2 sont partis en FNE (donc en pré-retraite) et 24 ont pu être reclassé en externe. Sur ces 24, il nous a été précisé par le CE que 16 ont trouvé du travail par eux-mêmes. Enfin 15 autres sont « préssentis », à condition de survivre aux entretiens d’embauches sélectifs, sur la plate-forme de distribution qui doit normalement se construire au Port du Rhin. Et finalement 14 autres cas qui seraient en bonne voie. Mais rien de précis ou de concluant pour le moment. Ce qui fait donc 61 personnes qui n’ont strictement aucune perspective à ce jour. Voire 90 si l’on fait abstraction des hypothèses pré-citées. La question est donc : « A quoi sert la cellule de reclassement ? » et une autre dans la foulée : « Où sont les embauches promises ? » . Ces deux questions ont été posées par les représentants du CE à Catherine Trautmann. Elle avait en effet assurés les salariés de surveiller spécialement cet aspect de leurs revendications. Par précaution, la promesse d’un politique n’engageant que ceux qui y croient, les salariés remettent donc une nouvelle fois leurs doléances sur la place publique. Au cours de cette conférence de presse, un avertissement solennel a été prononcé. Au cas où aucune réponse satisfaisante n’est apportée dans les prochains jours par les responsables politiques, les salariés se remobiliseraient sur des actions fortes pour obtenir gain de cause.

Editorial: la Citadelle est tombée La Citadelle est la dernière née des MDD (marque de distributeur) brassée entre autre chez Adelshoffen. C’est aussi une des dernières bières soutirée dans la brasserie. Elle est aussi brassée à Mons en Baroeuil. Employés de brasseries, si votre usine produit entre 400 000 et 1 millions d’hectos, votre avenir se présente mal ! D’après la bible économique en vigueur dans le petit monde de don Brassico en général et d’Heineken en particulier, votre taille est critique. Trop gros pour des petits brasseurs, trops petits pour les gros (au choix) industriels, brasseurs, actionnaires. Vous devrez tôt ou tard disparaître. L’affaire Adelshoffen le démontre une fois de plus. L’affaire ? Oui car c’en est une ! Cette usine a produit du MDD depuis plus de 3 ans pour une multinationale exclusivement brassicole et financière. Cette production avait été induite par le groupe Pêcheur lors de son rachat en 1996. Heineken n’a fait que rationaliser la chose. Pour autant, on peut se demander pourquoi avoir racheté une telle usine ? Tout simplement pour mettre la main sur un groupe proche de l’Allemagne et sachant produire des bières spéciales. Chose que Heineken ne sait et ne veut pas faire. Toute les bières spéciales du groupe sont produites dans des unités qui furent jadis indépendantes. Wieckse Witt, Affligem, Adelscott et tant d’autres. Heineken n’a toujours fait que de la Heineken. Les autres marques sont considérées comme des niches. Si la niche ne « donne » plus, on la ferme. Et le prestige est sauf ! Comme aujourd’hui avec Adel. Ce n’est pas Heineken qui ferme, mais une brasserie du nom d’Adelshoffen. Tellement connue pour des MDD aussi pittoresques que Citadelle, Bière de France, Munsterhof, Rhinberg, Sterling, Strasbrau et des dizaines d’autres qu’il ne reste plus guère que les salariés qui connaissent encore le nom de leur usine ! La grande majorité des consommateurs a trappé Adel depuis un moment. Et la dernière marque maison, l’Adelscott, a eu droit à un tel battage publicitaire, que nombre de ses amateurs sont persuadés qu’il s’agit d’une bière écossaise ! C’est l’an 2000 que diable ! Une bière se vend par son image, réelle ou virtuelle, pas par son histoire, les hommes qui l’a font, encore moins parce qu’elle est produite dans une usine qui a presque 150 ans d’existence. Adel et les médias. Ah qu’il est long le chemin qui mène à la lumière. Il n’y aurait pas eu le coup des citernes de gaz, avouons que le conflit n’aurait pas interessé grand monde. C’était, mettons, de bonne guerre. De là à faire croire aux médias qu’on allait casser la baraque, c’en était une autre, moins évidente. Mais le plus grave aura été de laisser entendre que les négociations pourraient être sévères. Car en apparence, tout laissait à croire que la grève était dure. Les injures volaient. Les menaces fusaient. La direction avait abandonnée les lieux. Les salariés déboulaient de temps en temps en ville. Mais au final, on se retrouve autour d’une table pour résoudre tous les problèmes en une journée ! ça c’était tout bonnement de l’intox syndicale. Adel ferme, mais devient championne du monde de résolution de conflits sociaux. Vite fait bien fait et tout le monde est d’accord en quelques heures. Chapeau les mecs ! D’autant que les responsables de la direction du Travail ont confirmés avoir « bétonné » leur sujet depuis avril et qu’il avait été convenu entre les délégués et leur direction, que tout, au niveau du plan social, devrait se dérouler rapidement et sans discours inutiles. De l’aveu même du directeur de la DDTE, Daniel Firobe, un conflit de cette envergure avec une issue aussi favorable, il n’en avait que très rarement eu l’occasion dans voir dans sa carrière. Et pas étonnant qu’André Pecqueur ait eu l’air si ravi depuis son retour à Schiltigheim. Un plan social en partie à la charge du contribuable, c’est toujours bon pour les dividendes d’une multinationale obligée de se séparer, à regret et avec des larmes de crocodiles, d’un personnel si performant, si doué, si…, si… Si ! Le vrai débat aurait pu porter sur l’avenir de la bière. Se mettre en grève pour sauver un site comme Adel était utopique. Tout miser sur ce seul point et rien avoir à proposer pour vivre du brassage semble un peu juste pour négocier avec un géant comme Heineken. C’était pas à la gorge qu’il fallait les prendre, mais aux c…. ! Bloquer les entrepôts et la production sur les sites Heineken en activité. Exiger de faire de la bière pour des buveurs de bières à Schilick, pas demander le maintien d’une usine à bibinne de supermarché qui ne rapporte rien à personne. Tenir un dialogue de brasseur à brasseur, car contrairement à Adel, Heineken n’a jamais bradé ni son talent, ni sa lager et surtout pas son nom. A personne et nulle part ! page suivante: historique de la brasserie

Historique 1864 Fondation de la brasserie par les frères Ehrardt.
1870 Prévoyant une fermeture des frontières, les frères Erhardt bâtissent une usine à Bar-le-Duc qui deviendra la brasserie de la Meuse.
1883 D’entreprise individuelle, la brasserie se transforme en société anonyme. 1902 La frontière est close. La production chute dramatiquement. Adelshoffen est contrainte de s’associer à la brasserie Hahnenbräu voisine, sous contrôle allemand. Cette union donne la  » Strassburger Munsterbräu « , une S.A. de droit allemand.
1918 A la fin de la guerre, la brasserie retrouve son nom d’origine. Considéré comme prise de guerre, son capital appartient dorénavant aux Domaines français. Cette part sera revendue aux enchères en 1922.
1922 La brasserie du Pêcheur se porte acquéreur d’Adelshoffen. Elle la transforme en S.A. de droit français en 1938.  » La Grande Brasserie Alsacienne d’Adelshoffen  » est née. 1938 Adelshoffen se dote de son logo définitif, un blason triangulaire figurant la cathédrale de Strasbourg. Elle collabore encore avec la Brasserie de la Meuse qui distribue notamment la  » Munsterbräu « , la bière brune d’Adelshoffen. Cet accord sera rompu à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Plus tard, La Meuse fusionnera avec le groupe B.S.N. 1950 Adelshoffen produit 250 000 hectolitres de bières. Ses marques  » Pils « ,  » Munsterbräu  » et  » Select  » sont présentes dans toute la France.
1960 Le capital social d’Adelshoffen atteint 2 millions de francs. 71 % sont directement détenus par le groupe Fischer (la traduction allemande aux sonorités anglaises de Pêcheur) Dans les années soixante dix, Adelshoffen devient de plus en plus un laboratoire d’essai pour le groupe. A ses activités traditionnelles s’ajoutent des créations pour le moins surprenantes, tels le concentré de bière ou des coolers fruités pour le marché anglo-saxons.
1982 Henri Weber et Michel Debus, les dirigeants de l’époque, mettent au point l’Adelscott, la célèbre bière fumée au malt à whisky. Sans budget publicitaire, l’Adelscott mettra cinq ans à s’imposer sur les marchés français et étrangers. Mais en 1987, le pari est gagné : la brasserie en produit 80 000 hl. A la même époque, Fischer produit la 3615. Le succès de ces deux bières installe durablement le groupe dans le créneau des bières de spécialités. Ils lui permettent du même coup de renflouer des finances passablement mises à mal par des tentatives nettement moins glorieuses.
1988 La brasserie produit annuellement 380 000 hl de bière .
1993 Adelshoffen fait une dernière fois parler d’elle avec le lancement de boissons pour animaux. Mais la  » bière pour chien et chat  » ne sera qu’un ultime coup médiatique.
1996 Heineken devient actionnaire majoritaire du groupe Fischer via sa holding Sogebra.
1998 Lancement des kits de fabrication de bière pour tenter de survivre.
13 avril 2000 Heineken annonce la fermeture du site pour la fin de l’année.
1 septembre 2000 Fermeture officielle de la brasserie. page suivante: quelques chiffres

Quelques chiffres Heineken se déclare prêt à investir 80 millions de francs pour fermer Adelshoffen. Adel produit annuellement 500 000 hectos de bière MDD et MPP. autrement dit, des bières « premiers prix » et « marques de distributeurs ». Lors du rachat en 96, Heineken prévoyait d’en produire le double après rénovation. La direction se retranche derrière une baisse de productivité de 17% sur ces produits pour justifier la fermeture du site. Tout en annoncant le transfert de la même activité sur l’usine de Saint Omer. En 1996, Adel produisait 750.000 hl par an dont les marques Adelscott, Rheingold, Mars, Export et Tradition en fûts. Ces bières spéciales ont été brassées par Fischer dès l’année suivante. Adel ne s’occupant plus que des MDD en verre perdu. Au cours des cinq dernières années, l’effectif d’Adel est passé de 195 salariés à 96 (hors intérimaires). Lorsque les vannes s’ouvrent pour laisser couler de la bière dans la rue, c’est un débit théorique de 28 000 litres à l’heure qui part au caniveau. Le terrain, environ 3 hectares en plein centre, attise les convoitises (et les rumeurs) immobilières.

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